publié par Fabienne Pasau le jeudi 13 septembre 2018 sur rtbf.be

La fatigue, on la critique, on la stigmatise. Or elle est quelque chose de tout à fait naturel. Avoir un corps d'homme, c'est avoir un corps qui se fatigue, qui s'use, qui produit des sensations qui nous indiquent qu'il faut se reposer.
Quand nous sommes en bonne santé, notre corps est totalement silencieux, il ne vous envoie aucune information, explique Jean Van Hemelrijck, psychologue et psychothérapeute. Quand subitement, un de nos organes va mal, il se met à faire du bruit, il capture notre attention sans qu'on puisse s'en échapper.
La fatigue renvoie un peu à cela : le corps devient pesant, il ne nous accompagne plus, il fait obstacle et nous amène à devoir nous retirer.
La fatigue est une chose protectionnelle qui nous amène à nous mettre à l'abri, à prendre la mesure de ce que nous sommes en train de faire.
Jean Van Hemelrijck fait la distinction entre la bonne fatigue, celle du sportif épuisé mais vainqueur, de l'amant repu d'une fatigue agréable, ou encore celle qui résulte du travail bien fait, et la mauvaise fatigue.
La mauvaise fatigue, c'est celle du burn out, de la fragilisation
Le métier que nous faisons sert à quelque chose : il nous donne l'impression de participer à quelque chose qui a du sens. C'est participer au monde, c'est donner du sens au monde. Or on constate de plus en plus dans notre société une fragmentation du travail et une exploitation.
On parle aujourd'hui de 'ressources humaines'. Ce mot est très violent. L'homme est pensé comme un matériau qu'on utilise : quand il est épuisé, on en prend un autre et on le remplace.
Nous vivons dans une société qui pense les hommes en termes de ressources humaines, qui les considère comme un matériau à consommer sans modération, pour les mettre à disposition d'une production d'outils, de richesses. Sans prendre en compte que le travail d'un homme, c'est ce qui lui donne du sens : il peut atteindre son bonheur lorsqu'il a l'impression d'être à sa juste place.
Le mot 'burn out' illustre bien l'idée que nous consommons plus que ce que nous prenons
"La fatigue, quand elle est mauvaise, c'est qu'elle vous dit simplement que vous n'êtes pas à votre juste place. Que vous êtes en train de faire quelque chose d'insensé à un endroit où vous n'avez pas à être.
Alors vous luttez, mais vous luttez contre vous et vous devenez votre propre destructeur parce que vous essayez vaille que vaille, parce qu'il faut vivre. Et vous êtes progressivement privé de cette substance naturelle qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue."
Le mot 'burn out' illustre bien l'idée que nous consommons plus que ce que nous prenons. On observe que quand les gens sont en absence de sens, plutôt que de s'effondrer, ils font x 2, ils en font deux fois plus, et donc ils luttent contre eux-mêmes.
La société fait croire aux personnes en situation de burn out qu'elles sont fautives, que si elles n'y arrivent pas, c'est de leur faute. La fatigue est mal vue, car considérée comme une fragilité.
Le droit à la paresse
Le texte 'Le droit à la paresse' de Paul Lafargue (1880) propose de se placer dans une temporalité où les choses s'écoulent autrement. Car le premier principe de l'épuisement, c'est de ne pas respecter notre rythme. Le temps est une invention des hommes pour tenter de se raccorder au monde, pour s'inventer un lien au monde.
Notre société est en train de déréguler complètement ces raccordements et oublie les outils fondamentaux que sont l'attente, l'ennui, la patience.
Il n'y a plus que la temporalité de l'urgence qui est autorisée. Nous sommes toujours en retard, comme le lapin qui n'a plus sa tête et qui court sans cesse derrière quelque chose qu'il n'atteint jamais et qui finit par se perdre.
"La notion du burn out n'est pas qu'une notion médicale, elle est une véritable question posée à la société : que va-t-on devenir si chaque être humain est soumis à ce stress majeur : un travail qui n'a pas de sens, pour lequel il doit courir sans cesse, dans lequel il s'oublie et finit par se détruire", interroge Jean Van Hemelrijck.
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